Fin connaisseur des rouages de la politique étrangère américaine, le sénateur de Floride Marco Rubio a été propulsé à la tête de la diplomatie de la première puissance mondiale. Dans une note pubiée pour la Fondation Jean-Jaurès, dresse le portrait de cet acteur clé, chargé de traduire en actes la vision internationale de Donald Trump dans un contexte géopolitique sous haute tension.
« Bête comme ses pieds » et « fainéant ». C’est avec ces mots pleins de tact que Donald Trump avait décrit son premier secrétaire d’État, Rex Tillerson. Limogé après seulement 423 jours en fonction, celui-ci devenait l’un des plus éphémères à son poste depuis des décennies.
Marco Rubio, nouveau visage de la diplomatie américaine, connaîtra-t-il le même sort ? Contrairement à son prédécesseur qui venait du secteur privé, il a pour avantage de bien connaître les arcanes du pouvoir à Washington. Sénateur de Floride depuis 2011, candidat à la primaire républicaine à deux reprises, membre influent de la puissante commission des Affaires étrangères du Sénat, ce fils d’immigrés cubains affiche une solide expérience politique. Sa confirmation quasi unanime – 99 voix pour, 0 contre – traduit presque une forme de soulagement transpartisan en contraste avec d’autres nominations bien plus controversées, à l’instar de Pete Hegseth au poste de secrétaire à la Défense.
Mais pour durer, Marco Rubio devra relever deux défis
majeurs : un défi de fond et un défi de forme.
Un néo-conservatisme assumé
Sur le fond, la vision du monde du nouveau diplomate en chef s’inscrit dans la pure tradition néo-conservatrice républicaine. Il a soutenu l’invasion de l’Irak en 2003 avant de se rétracter. Fervent allié d’Israël, il s’est longtemps opposé à un cessez-le-feu à Gaza et, encore récemment, a assuré ses homologues de son « soutien inébranlable ». Climatosceptique, il persiste à nier le rôle des activités humaines dans le dérèglement climatique. Enfin, il prône une ligne de fermeté face à la Chine – un cheval de bataille historique pour lui – mais aussi face à l’Iran, en parfaite résonance avec les orientations du nouveau locataire de la Maison-Blanche.
Mais Rubio se présente aussi comme un défenseur de la démocratie et des relations transatlantiques. Face à un chef qui menace régulièrement l’OTAN, Rubio a fait adopter en 2023 une loi empêchant le président de quitter l’alliance sans l’aval du Congrès. Attaché à une diplomatie plus traditionnelle, il s’est opposé à plusieurs reprises à Trump lors de votes au Sénat, prônant notamment une ligne plus ferme vis-à-vis de la Russie et de Vladimir Poutine. En 2015, il s’est par exemple dit prêt à entrer en guerre avec la Russie pour défendre la Turquie et l’OTAN. Prononcerait-t-il encore ces mots aujourd’hui ?
La posture américaine vis-à-vis de la Chine s’annonce par ailleurs comme un terrain de confrontation entre Rubio et Musk. Considéré comme l’un des membres du Congrès les plus virulents à l’égard du Parti communiste chinois (PCC), le secrétaire d’État devra faire entendre sa voix face au patron de Tesla, dont près de la moitié des voitures sont produites à Shanghai et pour qui le marché chinois représente un débouché important. Pour l’heure, une ligne dure semble l’emporter, comme en témoigne l’annonce récente de nouveaux droits de douane imposés à Pékin par la Maison-Blanche.
La position de Rubio sur les droits de douane et les questions commerciales – pourtant centrales dans la doctrine trumpiste – reste d’ailleurs à préciser. Rubio avait par exemple soutenu l’accord de libre-échange transpacifique dont Trump s’était immédiatement retiré à son arrivée au pouvoir en 2017.
Quant aux ambitions impérialistes de Trump, Rubio s’est jusqu’ici rangé sans réserve derrière les projets d’annexion du Groenland et du canal de Panama. Mais saura-t-il esquisser un équilibre entre un corps diplomatique intrinsèquement attaché au respect des alliances, des traités et de la parole donnée, et un président prêt à tout dynamiter ?
Question de méthode
Car c’est avant tout dans la forme et la méthode que réside le plus grand défi du secrétaire d’État. Comment asseoir une diplomatie cohérente et une voix crédible quand un simple tweet présidentiel peut tout renverser ? La diplomatie repose sur le temps long, sur la construction méthodique d’alliances ; Trump, lui, prospère sur l’impulsif et l’instantané.
On se rappelle – parmi de nombreux exemples – d’un tweet de Donald Trump en 2018 se targuant d’avoir « un beaucoup plus gros bouton nucléaire » que son homologue nord-coréen. Victime lui aussi de cette « twiplomacy » effrénée, Mike Pompeo, le second secrétaire d’État du premier mandat de Donald Trump, avait récemment lancé une pique à peine voilée : « les Américains attendent des solutions, pas des tweets ».
Ceci, de surcroît auprès d’un chef d’État dont les influences sont multiples et qui fait de son instinct la pierre angulaire de ses arbitrages. Trump a en effet nommé une demi-douzaine d’envoyés spéciaux et de conseillers chargés de traiter directement certains des dossiers internationaux les plus sensibles (Ukraine, Moyen-Orient, etc.), favorisant ainsi un processus de décision plus informel qui gravite autour de sa personne.
Cette prolifération de canaux garantit la présence d’ultra-loyalistes au cœur du dispositif diplomatique, affaiblissant par ricochet le département d’État. Rubio ne fait en effet pas partie du premier cercle – on se souvient encore des passes d’armes entre lui et Trump lors de la primaire de 2016. Le sénateur de Floride se moquait alors des mains jugées trop petites du magnat new-yorkais, lequel répliquait en le gratifiant du sobriquet « petit Marco ».
Malgré ces tensions inhérentes, ce sera pourtant Rubio, choisi pour sa stature et son sérieux, qui devra parcourir la planète pour expliquer les décisions et extravagances de son administration. C’est lui qui devra affronter la défiance des capitales étrangères, des chancelleries, des ONG, des organisations internationales — et peut-être même de son propre corps diplomatique. Ceci avec peu de bonnes nouvelles en poche : les États-Unis ont gelé l’essentiel de leurs financements internationaux et multiplient les invectives, les menaces de sanctions commerciales, voire même d’annexion. Il y a donc fort à parier qu’à bien des égards, Rubio soit davantage cantonné à un rôle d’exécutant plutôt que de stratège.
In fine, l’action et le positionnement du nouveau secrétaire d’État éclaireront peut-être une question essentielle pour les années à venir : la diplomatie, telle que nous la concevons, est-elle compatible avec la manière dont Donald Trump exerce le pouvoir ?