Modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest, le Ghana aborde un tournant décisif. À l’approche d’élections sous haute tension, le pays doit affronter une économie fragilisée et une région marquée par l’instabilité, entre coups d’État et montée des menaces sécuritaires. Dans cette note, publiée pour la Fondation Jean Jaurès en décembre 2024, j’explore les défis qui détermineront l’avenir de cette fragile démocratie.
“Bien que les défis soient redoutables, nos forces le sont aussi. Les Ghanéens sont impatients et plein d’espoir”. Ces mots, prononcés par le Président Nana Akufo-Addo lors de son discours d’investiture en 2017, avaient pour vocation d’inspirer tout un peuple et un continent. D’affirmer la place centrale et le succès du modèle ghanéen, fondé sur une croissance dynamique et une remarquable stabilité démocratique.
Seul hic, la formule avait été reprise, à la virgule près, du discours d’investiture du président Bill Clinton en 1993. Le plagiat rapidement débusqué, les médias s’étaient donné à cœur joie de dénoncer la supercherie. Un incident, qui, au-delà de l’anecdote, révélait le gouffre qui sépare encore l’optimisme ghanéen et la réalité fragile de cette jeune démocratie.
8 ans plus tard, près de 19 millions de Ghanéens sont appelés aux urnes pour décider du successeur de Nana Akufo-Addo lors d’élections présidentielles et législatives qui s’annoncent décisives. Le Ghana affronte en effet de nombreux vents contraires depuis le début de la décennie à même de remettre en question la solidité de ce bastion démocratique.
Chahuté par une économie chancelante et un environnement régional instable, l’ancienne colonie britannique traverse une période de turbulences dont l’échéance électorale constituera sans aucun doute la pierre de touche de sa capacité à se projeter pour les années à venir.
Un contexte politique en ébullition
Les élections de décembre marqueront la fin d’une ère avec le départ du Président Nana Akufo-Addo, contraint de quitter ses fonctions en raison de la limite constitutionnelle de deux mandats. Son dauphin du Nouveau Parti patriotique (NPP), le vice-président sortant Mahamudu Bawumia, s’opposera à un pilier de la politique ghanéenne, en la personne de l’ancien président John Mahama du Congrès démocratique national (NDC).
Historiquement, la démocratie ghanéenne s’est construite sur des transitions politiques pacifiques, œuvrant pour établir des garanties vis-à-vis de la liberté de la presse et de l’indépendance de la justice. Depuis 1992 et l’avènement de la 4ème république, le Ghana a organisé huit élections libres, équitables et reconnues comme telles par les observateurs internationaux. Bien que des défis liés à la gouvernance, la réduction des inégalités ou encore la lutte contre la corruption subsistent pour cette jeune démocratie, le Ghana est largement considéré comme un modèle à suivre pour l’ensemble du continent.
Les électeurs s’apprêtent à choisir leur Président et leur Parlement selon un système électoral inspiré de la France et du Royaume-Uni. Le Président est élu au scrutin majoritaire à deux tours comme en Hexagone, et bien que 12 candidats soient en lice pour la présidence, seuls les deux principaux ont des chances réalistes de l’emporter. Les députés sont quant à eux élus selon le principe du first past the post, où le candidat en tête l’emporte dès le premier tour.
Le scrutin intervient dans un paysage politique profondément polarisé, où invectives et accusations de manipulations se multiplient. L’Assemblée nationale a récemment suspendu ses travaux à la suite d’une décision controversée du président du Parlement de déclarer vacants quatre sièges parlementaires. La mesure a provoqué des scènes chaotiques dans l’enceinte parlementaire et enflamme encore davantage le débat national. Or les députés en étaient déjà venus aux mains il y a quelque temps au sujet d’un désaccord sur une taxe sur les transferts d’argent électroniques ou encore lors de l’élection du président de la chambre, provoquant l’intervention des forces armées dans l’hémicycle.
De plus, répondant à l’appel du NDC, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue en septembre pour dénoncer des irrégularités dans l’organisation du vote. La confiance des citoyens envers la commission électorale, chargée de garantir la sérénité des urnes, est en effet à son niveau le plus bas (33%) depuis deux décennies d’enquêtes. Le pays garde encore en mémoire les violences électorales de 2020, marquées par un scrutin contesté par l’opposition, qui avaient causé plusieurs morts et fait des dizaines de blessés.
Parallèlement, les tensions autour de l’or, première exportation du Ghana, se sont intensifiées. L’orpaillage illégal, connu sous le nom de galamsey, menace gravement les ressources en eau du pays, provoquant en octobre une vague de manifestations qui ont placé cette question au cœur du débat politique.
Une économie sous pression
Les racines de ces tensions résident en grande partie dans la situation économique du pays, devenu l’enjeu central de cette élection.
Avec une inflation désormais stabilisée autour de 20% après avoir atteint un pic de 54% en décembre 2022, le coût de la vie est devenu insoutenable pour une grande partie du pays. L’érosion des revenus pousse chaque jour des populations sous un seuil de pauvreté qui pourrait atteindre 33 % en 2025.
Le Ghana a subi de plein fouet les retombées de la pandémie de COVID-19, puis de la guerre en Ukraine, qui ont perturbé les chaînes d’approvisionnement et provoqué une flambée des prix des matières premières, alors que l’économie dépend en grande partie de ses importations. Le prix de l’essence à la pompe a par exemple augmenté de 148% entre janvier et décembre 2022. En plus de cette conjoncture mondiale, le cedi ghanéen, non indexé à une devise forte comme l’euro ou le dollar, subit une forte volatilité des prix. Par conséquent, les difficultés financières et monétaires se sont enchaînées en cascade ces dernières années : défaut de paiement, perte d’accès aux marchés internationaux, dégradation de la note souveraine.
A cela s’ajoutent les pertes agricoles catastrophiques dans le nord et l’est du pays dues à des sécheresses persistantes qui ont contraint les autorités à suspendre les exportations de céréales en septembre. Pour faire face à la menace de pénuries, les autorités ont annoncé que le Ghana allait puiser dans la réserve céréalière de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et collaborer avec le secteur privé pour importer les céréales manquantes.
Des signaux positifs sont cependant à souligner. Une bouffée d’oxygène, à savoir une enveloppe de 3 milliards de dollars de la part du FMI pour redresser l’économie, a été accordée au gouvernement pour récompenser une restructuration efficace de la dette. S’ajoutent à cela les espoirs – probablement excessifs – autour du “Petroleum Hub”, un projet pétrolier pharaonique qui pourrait à terme garantir l’indépendance énergétique du pays et contribuer à une augmentation significative du PIB. Les revenus pétroliers sont en effet en hausse au premier semestre 2024 pour la première fois depuis cinq ans.
Toutefois les années 2010, où le pays affichait l’une des croissances les plus dynamiques au monde, semblent pour l’instant bien lointaines.
L’instabilité régionale menace
Les candidats devront également convaincre de leur capacité à manoeuvrer sur le plan régional, tant l’instabilité croissante du voisinage pèse sur le Ghana depuis de nombreuses années.
Les coups d’État successifs au Burkina Faso, au Mali, en Guinée et plus récemment au Niger ont profondément déstabilisé la zone. Les tensions régionales ont atteint un pic historique lorsqu’en août 2023, la Cédéao a menacé de recourir à la force militaire pour réinstaurer le président Bazoum au Niger.
La coopération sécuritaire, les échanges économiques, et les investissements internationaux ont pâti de cette série de crises, tandis qu’en toile de fond la Russie accroît son influence dans la région. Ces bouleversements ont durement affaibli la Cédéao, amputée de plusieurs de ses membres, alors même qu’elle constituait le point nodal de la coopération régionale.
Ces bouleversements politiques et l’instauration de régimes militaires font peser une réelle menace sur le modèle démocratique ghanéen, d’autant plus que la fragilité du tissu sécuritaire s’aggrave. Des régions entières se retrouvent sous la férule de milices armées, tandis que la menace djihadiste se renforce aux frontières nord d’un Ghana jusque-là épargné. Une attaque récente contre une base de l’armée togolaise, située à quelque 70 kilomètres de ses frontières, a ravivé ces inquiétudes.
En réponse, le gouvernement ghanéen a renforcé sa présence militaire dans le nord du pays, une région sensiblement plus pauvre que le sud et à majorité musulmane. Des investissements ont été engagés pour construire et moderniser quinze bases d’opérations avancées le long des frontières avec la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Togo.
Reste à savoir comment le Ghana pourra préserver la stabilité de son modèle democratique et économique dans une région en proie aux coups d’Etat, aux tensions diplomatiques et à la prolifération de mouvements djihadistes.
Maintenir le cap
La décennie 2010 avait ouvert pour le Ghana une ère d’optimisme, alimentée par une croissance remarquable et une stabilité démocratique qui avaient pour vocation de faire avancer l’ensemble de la région et inspirer le continent. Accra s’était mis à voler de ses propres ailes, s’affranchissant du FMI, en parvenant à se financer sur les marchés internationaux
Mais les récentes crises ont mis ces acquis à rude épreuve, plongeant le pays dans une phase d’incertitudes. La nation de Kwame Nkrumah se trouve désormais à un tournant décisif et l’élection du 7 décembre, ainsi que son bon déroulement, constitueront un test majeur pour la résilience de son modèle démocratique et sa capacité à retrouver le chemin de la prospérité. À défaut, le Ghana pourrait devoir réévaluer ses ambitions à la lumière de ces nouveaux défis.