L’adjectif chronophage – littéralement « mangeur de temps » – est apparu dans les dictionnaires dans les années 1970.
Avant cela, nous n’avions pas besoin du mot. Mais aujourd’hui tout va trop vite et le temps semble nous glisser entre les doigts: accélération de nos modes de vies, des communications, des avancées technologiques, de la production, des transports, des flux économiques.
C’est la thèse du sociologue Hartmut Rosa. Selon lui, la modernité, c’est l’accélération.
Du cadran solaire aux montres à quartz, des pigeons voyageurs aux notifications instantanées, nous avons décuplé la vitesse.
De nos jours, Internet est réglé sur… la nanoseconde. C’est à dire que l’unité de référence qui gouverne le monde est un milliardième de seconde.
Cette frénésie a bien entendu des vertus. L’accélération des flux a contribué à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, à inventer un vaccin contre la COVID en temps record. Les démonstrations ne manquent pas. Nos quotidiens sont métamorphosés depuis plusieurs années, portés par l’essor de l’internet et du smartphone.
Mais à l’inverse, les écosystèmes et le climat en paient un lourd tribut, sous l’effet de l’extractivisme et de la surproduction nécessaires pour nourrir cette hypervitesse.
Celle-ci joue aussi un rôle crucial dans l’érosion de notre santé. Selon la psychologue Nicole Aubert, le stress, la fatigue et la dépression sont les symptômes d’un nouveau rapport au temps, qui fait émerger « des individus à flux tendus ».
Bienvenue au règne de l’urgence ! Hartmut Rosa, très pessimiste, envisage à terme l’écrasement de nos sociétés sur le mur des crises technologiques et écologiques.
Face à cela, certains prônent la décélération. L’économiste Timothée Parrique, dans un essai édifiant, parle par exemple de « Ralentir ou périr. »
Nous pouvons d’ores et déjà rythmer différement nos quotidiens: libérer nos agendas, flâner, lire, passer moins de temps sur Instagram, aller un peu moins loin pour les vacances, commander un cheeseburger plutôt qu’un double-cheeseburger.
Au-delà de ces ajustements, il devient plus urgent encore de réapprivoiser le temps et d’écouter les murmures d’un monde qui nous appelle à la pause.