Lueurs dystopiques

En 1941, Isaac Asimov, auteur légendaire de science-fiction alors inconnu du public, publie une nouvelle intitulée « Quand les ténèbres viendront ».

L’histoire se déroule sur la planète Lagash, un monde constamment éclairé par de nombreux soleils, et où la nuit n’existe pas. Mais un jour, un alignement astronomique exceptionnel plonge la planète dans l’obscurité totale.

Terrifiés par l’immensité du ciel étoilé et l’absence de soleil, les habitants se mettent à incendier leurs villes dans une tentative désespérée de recréer une source de lumière.

Asimov suggère ainsi que l’humanité se définit par rapport à la nuit, et donc à une forme de finitude qu’elle cherche à éliminer.

Sommes-nous en train de suivre cette même voie ?

Aujourd’hui, 99 % des populations américaines et européennes vivent sous des cieux pollués par la lumière. La Voie lactée n’est visible que par un tiers de l’humanité et à Singapour, la ville la plus illuminée au monde, on parle d’une forme de ‘jour permanent’.

Au-delà de nous priver de la beauté du cosmos, la lumière perturbe les cycles naturels : les oiseaux migrateurs se désorientent, les insectes sont attirés par les lumières artificielles et même les plantes voient leurs rythmes biologiques altérés.

Pour les humains, cette lumière excessive retarde la synthèse de la mélatonine, « l’hormone du sommeil », ce qui peut engender de nombreux problèmes de santé.

Dans son ouvrage, « Les besoins artificiels », Razmig Keucheyan, ouvre son propos sur la pollution lumineuse afin de poser une question essentielle: de quoi avons nous réellement besoin ? L’éclairage artificiel est nécéssaire, mais jusqu’à quel point ?

Cette question de la lumière, au carrefour des enjeux écologiques, technologiques et philosophiques, nous confronte je crois aux paradoxes de la modernité et à la nécéssité d’en faire moins. Certains droits élémentaires, comme celui d’observer le firmament étoilé, ne sont en fait plus garantis.

Inter-galactiquement troublant.