Hétérotopies

« L’utopie est la vérité de demain » disait Victor Hugo.

Il fut en effet un temps où progrès, prospérité et paix nous tendaient les bras. Certains, comme Francis Fukuyama, avaient même proclamé la fin de l’Histoire. Après des millénaires de souffrances, l’âge doré était venu. L’humanité de l’après guerre froide se destinait à construire lentement mais surement son utopie.

Aujourd’hui, le tragique nous guette et rares sont ceux qui croient encore à l’avènement d’une société dans les nuages. L’utopie a été rangée au placard des idéaux naïfs et désuets. La dystopie, elle, fait florès.

Pourtant, Michel Foucault nous avait suggéré que le monde idéal n’est peut-être pas totalement hors de portée.

Le philosophe avait proposé en 1967 la notion d’hétérotopie, le « lieu autre ». Ces lieux, intégrés dans la société mais régis par leurs propres règles, seraient des espaces où l’ordre habituel se suspend, où des réalités plurielles émergent.

Pensez à un stade de football, à un musée, ou même à une cabane d’enfants – autant de lieux porteurs d’un imaginaire, de leurs propres règles et d’une temporalité qui leur est singulière.

Michel Foucault affirme que ces hétérotopies peuvent ensuite constituer des mini-utopies temporaires et localisables.

L’utopie pourrait alors être ré-imaginée non pas comme un grand projet sociétal, mais comme une série de moments, d’espaces délimités, où quelque chose de meilleur est possible : une salle de classe où le savoir fleurit au-delà des espérances, un hôpital de campagne ou la vie s’accroche en plein chaos, une bibliothèque où le silence murmure aux lecteurs.

Selon Foucault, ces petites utopies, loin des idéaux inaccessibles, rappellent que des fragments de perfection peuvent encore se glisser dans un monde fait d’aspérités.

Ce qui donnerait alors du sens à nos actions, ce seraient ces « lieux autres » où l’utopie, même fugace, prendrait chair pour devenir réalité.