L’agression russe en Ukraine est effroyable et injustifiée. Elle viole les principes les plus élémentaires de coexistence pacifique entre les nations, provoque chaque jour d’indicibles souffrances et déstabilise l’ordre international. A travers la captation méthodique de l’Etat russe, Vladimir Poutine a transformé ses ambitions impérialistes en instruments de conquêtes meurtrières.
Pour autant, cette guerre est-elle pire qu’une autre ? Les exactions militaires, les conquêtes inopinées et les violations des droits humains sont malheureusement vieilles comme le monde, et aussi récurrentes que répandues. Plus de 120 conflits armés actifs sont ainsi répertoriés par le Comité international de la Croix-Rouge.
A Gaza, où plus de la moitié des décès sont des femmes et des enfants, Israël est suspecté de crimes contre l’humanité. En Chine, les autorités sont accusées par l’Assemblée nationale française de commettre un génocide à l’encontre des Ouighours. Le théâtre syrien, après plus d’une décennie de conflit sanglant, demeure la plus grande crise de réfugiés au monde. Toutes ces nations, et tant d’autres, arboreront pourtant leur drapeau dans les rues de notre capitale dans quelques semaines.
En imposant aux athlètes russes et biélorusses de participer aux Jeux de Paris sous bannière neutre, le CIO s’adonne dès lors à une hiérarchisation des souffrances.
Le message envoyé, qu’on le veuille ou non, consiste à dire qu’une vie ukrainienne vaut davantage qu’une autre, que les indignations occidentales priment sur les souffrances du reste du monde. L’olympisme tolère alors une forme d’ingérence politique et rompt avec la neutralité, principe fondamental qui garantit l’universalité du sport. 1
La gêne des autorités olympiques est d’ailleurs palpable à de nombreux égards. La cohérence de cette décision semble en effet bancale puisqu’elle est motivée par l’annexion illégale de territoires ukrainiens en 2022. Aucune mesure n’avait pourtant été prise dans une situation semblable en 2014, lorsque la Russie avait envahi la Crimée.
De plus, les athlètes russes et biélorusses ne sont pas interdits de participer, mais ils doivent se plier à des conditions kafkaïennes pour concourir. Ils sont dans l’obligation de participer sous bannière neutre, avec un hymne composé pour l’occasion. Ils sont interdits de défiler lors de la cérémonie d’ouverture, mais pas celle de clôture. Ils peuvent participer à des compétitions individuelles, mais pas en équipe.
Enfin, comble d’une position intenable, les athlètes doivent avoir condamné publiquement l’invasion de l’Ukraine, alors même qu’une telle prise de position est sanctionnée d’au moins dix ans de prison en Russie. Au bout du compte, seules quelques dizaines de sportifs sont attendues, contre plus de 430 aux JO de Londres en 2012.
En réalité, cette décision constitue une défaite pour le sport et pour la paix.
Le sport – à condition d’être préservé – demeure en effet l’un des rares refuges encore à l’abri des déflagrations internationales. Ceci dans un contexte où le bloc occidental et russe s’éloignent périlleusement. Leurs chancelleries ne dialoguent plus, leurs sphères médiatiques et numériques déploient des narratifs opposés et leurs échanges culturels, touristiques, universitaires ou encore économiques sont au point mort.
Tout porte à croire que cette décision risque d’accentuer cette dynamique délétère et d’affaiblir l’impartialité du sport.2 Va-t-elle donc réellement dans le bon sens ? A l’heure où nous sommes engagés dans un engrenage vicieux qui écarte nos sociétés, le sport doit nous permettre de dépasser, ne serait-ce que pour quelques semaines, la conflictualité. Rejeter la diabolisation de l’autre, partout où c’est possible, n’est ce pas le devoir premier de l’humaniste?
Face à la guerre et la division, il nous appartient collectivement de prémunir le sport des désordres du monde.