Marie Curie : La leçon inaugurale

Pierre Curie perd la vie dans un accident tragique en avril 1906. Pour Marie, c’est la perte d’un mari, mais aussi d’un collègue, d’un intellectuel passionné avec qui elle a obtenu le prix Nobel de physique trois ans plus tôt. Anéantie par son absence, elle en vient même à déménager pour se rapprocher du lieu où repose son mari. 

En remplacement de Pierre, Marie Curie est nommée titulaire de la chaire de physique à la Sorbonne, devenant ainsi la première femme de l’histoire à occuper un poste de professeure d’université en France. Dans un tel contexte, et alors même que la veuve demande que son installation se fasse sans bruit, une foule composée d’étudiants, de chercheurs et du Tout-Paris se presse pour assister à sa leçon inaugurale.

Le moment s’annonce historique. 

Les curieux affluent plusieurs heures avant le début du cours. Dès l’ouverture des grilles, la foule se précipite vers l’amphithéâtre et remplit aussitôt ses deux cents places. Au premier rang, un juge, une comtesse et un doyen de la faculté des sciences se serrent pour faire de la place aux autres spectateurs. On peut d’ailleurs imaginer qu’une grande partie de l’audience s’y connait peu en théorie de la radioactivité. Ils sont venus par curiosité, peut-être simplement pour l’apercevoir. 

L’émotion est palpable et la tension est telle que l’apparition de Marie Curie est accueillie par un long tonnerre d’applaudissements, à la fois émus et chaleureux. Silencieusement, la lauréate du Nobel devenue veuve, s’approche vers le pupitre. Elle semble livrer une lutte homérique contre les sentiments qui l’envahissent. 

Le calme s’installe et la physicienne prend timidement la parole en reprenant, à la phrase près, le cours laissé par Pierre. Regagnant petit à petit sa confiance, elle revient sur leurs découvertes en matière de radioactivité. Un reporter présent dans la salle remarque qu’elle ne se désigne jamais, et ne cite qu’une seule fois « Monsieur Curie » durant le cours. Ici, les idées prennent le pas sur les individus. 

Et alors même que son mari l’a quitté dans des conditions effroyables, que son intervention est un moment d’histoire, Marie Curie partage ses connaissances, met en lumière ses doutes et laisse de côté sa peine, ne serait-ce que pour un instant. La démonstration terminée, la chercheuse, qui obtiendra cinq ans plus tard un deuxième prix Nobel, quitte la salle comme elle est entrée, discrètement, ovationnée par son auditoire. 

Une leçon de physique et d’humilité.

Marie Skłodowska-Curie (1867 – 1934) est une physicienne et chimiste d’origine polonaise et naturalisée française. Intellectuelle hors-pair, elle est la première femme à recevoir un prix Nobel et la première scientifique à l’obtenir dans deux catégories distinctes : en physique et chimie. Inhumée au Panthéon avec son mari, ses découvertes sur le radium et le polonium ont permis de faire des avancées monumentales dans notre compréhension de la radioactivité.