5 mai 1981. Sept ans après la défaite du dirigeant socialiste aux élections présidentielles, François Mitterrand et Valery Giscard d’Estaing s’affrontent à nouveau lors du débat télévisé du second tour. Pour Mitterrand, c’est le moment ou jamais, l’ambition de toute une vie. Cette élection est sa dernière chance d’accéder à l’Elysée.
Au grand dam de ses partisans, le candidat de gauche maîtrise mal ce nouveau média. Il n’aime pas les entretiens télévisés et avait même cherché à faire annuler le débat. Mitterrand renvoie une certaine froideur sur le grand écran, manque de confiance et fait figure de candidat démodé. Face à lui, le plus jeune président de la Ve république est un adepte de la communication. Il bénéficie d’une image d’homme moderne, en phase avec son époque.
Ce soir-là, 30 millions de téléspectateurs sont attendus. Pis, les Français ont placé le président sortant en tête du premier tour. Le candidat de gauche doit combler son manque. Autant dire qu’à cette partie de poker, Mitterrand fait tapis.
Arrivé le premier à la Maison de la Radio entouré de ses plus proches collaborateurs, le socialiste sert quelques poignées de mains puis se dirige vers la salle de maquillage, passage obligatoire avant de se présenter au studio d’enregistrement. Serge Moati, son conseiller audiovisuel, se retrouve alors seul dans la pièce avec le futur président. La tension est palpable, les enjeux sont énormes.
Saisi par l’émotion, Moati explique à Mitterrand à quel point ses parents socialistes, décédés alors qu’il n’avait qu’onze ans, auraient été fiers de le voir aux côtés du candidat de la gauche, en ce moment historique. Le conseiller décrit alors la réaction de François Mitterrand : « Je le vois dans la glace, très ému, les yeux mouillés. Il commence alors à me parler de ses propres parents et me demande si je crois aux forces de l’esprit. Je lui réponds que j’y crois pleinement. » Soudain, Mitterrand fond en larmes.
Le reste de ses collaborateurs entrent alors dans la pièce et trouvent leur candidat en pleurs, quelques minutes seulement avant son entrée en scène. « Qu’est-ce que tu lui as fait ? » s’exclame l’un d’entre eux. Mitterrand se retourne alors de sa chaise et prend la parole : « Serge m’a dit exactement ce qu’il fallait me dire. »
Magistral durant le débat, le candidat socialiste prend le dessus sur son adversaire et remporte l’élection présidentielle quelques jours plus tard.
Tout au long de sa carrière, celui qu’on surnomme « le Sphinx » cultive son image d’homme politique indéchiffrable et impénétrable. Le visage de Mitterrand ne trahit habituellement aucune émotion. Rares sont ceux qui ont pu voir l’armure de cet homme impavide se briser de telle manière. Mais, à un moment de sa vie où tout peut basculer, et alors qu’il porte l’espoir de millions, même le plus solide d’entre nous nous rappelle qu’il est aussi fait de chair et d’os.
Monopole du cœur.
François Mitterrand (1916 – 1996) est un homme d’Etat français. Député, sénateur et ministre, le candidat de l’union de la gauche est élu à la présidence de la République en 1981 puis à nouveau en 1988. Ses quatorze années de pouvoir constituent un record de longévité sous la Ve république, marquées notamment par l’abolition de la peine de mort et la construction européenne.